|
"Il
y a une constante qui ressort de
la démarche artistique
de Dominique Comtat : une réflexion constamment
renouvelée, une
préoccupation incessante, presque obsessionnelle, sur la
mémoire et l’oubli.
Elle est présente dans chacun de ses films ou des ses
photographies. Quelle que
soit la thématique principale du travail, toujours cette
notion revient,
qu’elle soit ouvertement
le sujet de
l’œuvre (Quelques notes sur l’art de la
mémoire) ou qu’elle y figure de façon
sous-jacente : ainsi dans Courir les
rues ou Trois ans de vacances, où, lorsque pour aborder les
poèmes de Raymond
Queneau ou des photographies de Tony Ray-Jones, Comtat effectue, 20 et
30 ans
après, un retour sur les lieux mêmes
cités par l’un, photographiés par
l’autre.
Le contraste entre les textes et photos d’époque
et les images filmées
actuellement dessine aussi, en filigrane, un constat sur le passage du
temps.
Pour le spectateur, en effet, les
images de Dominique Comtat
apportent autre chose encore que cette réflexion autour
d’un thème. Ce regard
attentif, précis, posé sur un sujet,
signifie : « il y a quelque
chose, là, cette chose, je l’ai vue, et
l’ayant vue (et photographiée, ou
filmée), je vous la montre, ou plus exactement : je
vous la fais voir. »
Dans « Les
Désastres de la Guerre »,
après avoir confronté deux gravures de Goya
« Je l’ai vu »
– « Et ça
aussi » aux images de guerre en
Irak, le plan soudain
s’arrête, revient,
recommence, comme un bégaiement du film, qui
répète encore et encore la même
scène de quelques secondes, et nous fait enfin percevoir ce
mouvement, cet
attroupement, et ce geste, autrement pour nous inaperçu.
Ça peut être aussi, au
contraire, une évidence que nous ne voyons pas parce
qu’elle crève les yeux.
Dans « Les paradoxes du
photographe », après un plan sur cette
affiche de soldes « Tout doit
disparaitre », l’image vient
s’arrêter sur un lot de chaussettes de pointure
39-45.
Ainsi chaque fois, on
s’aperçoit qu’effectivement, il y
avait là quelque chose que son regard vigilant a
perçu, tandis que le notre n’avait
rien vu au premier abord, et de la rencontre avec ces images on ressort
avec
l’impression d’avoir la vision plus claire, plus
éveillée. On porte un nouveau
regard autour de soi, et on voit ce qui était invisible
auparavant. C’est le
message, ou le cadeau, profondément inscrit : ouvrez
l’œil. Si « la
beauté est dans l’œil de celui qui
regarde », précieux sont ceux qui nous
ouvrent les yeux."
VB.